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Periple en Corse

10 octobre 2007

10 – L’arrivée en Corse

La nuit fut très calme. Le ronronnement des 41 100 Kw du « Napoléon Bonaparte » n’avaient pas été nécessaires pour l’endormir. Son voisin de couchette s’en était chargé, même si c’était à son insu. Pas de rêve cette fois. Il fut, par contre, violemment réveillé par une annonce qui faisait vibrer les hauts parleurs et qui annonçait une foultitude d’informations : « il est 5heures 30, le jour ne va pas tarder à se lever, les douches sont chaudes, la température de l’air de 18 degrés Celsius, 62 degrés Fahrenheit, ciel dégagé mais encore peu lumineux tendant à probablement s’éclaircir à mesure que le jour va avancer, l’hydrométrie est de 72%, le restaurant « les Flots Bleus » est prêt pour le petit déjeuner, Bastia a encore perdu sur son terrain face à Brest 2-0, à cause d’Erwan Karadec, l’arbitre du match, plusieurs attentats non encore revendiqués et commis en Corse du Sud ainsi qu’en Corse de l’Est, enfin qu’un mouvement de grève du personnel de la SNCM était à prévoir dans les heures, voire les minutes qui allaient suivre. (On vous tient au courant) ». Cette brève allocution eut le mérite de faire sortir de leur couchage Pierre et son nouvel ami. Il se précipita hors de la cabine dès qu’il eut enfilé à la hâte ses vêtements de la veille. A la hâte car il voulait se débarrasser de sa sangsue qui était partie pour l’entretenir au sujet de la corsisation nécessaire et indispensable des services publics corses, sans quoi il faudrait s’attendre à ce que….

Pierre trouvait l’atmosphère plutôt fraîche malgré les 62 degrés annoncés. D’accord, « on dirait le sud » s’était-il entendu penser dans le fond de sa tête, mais tout de même, ici, les 62 degrés ne sont pas très chauds. De plus, une légère brise marine venant de la mer faisait claquer les fanions multicolores accrochés aux cordages au milieu desquels Pierre comprit, d’après ce qu’il venait d’entendre de la part d’un voyageur, mais sans en voir, qu’il y avait beaucoup de têtes de morts. On n’y voyait goutte car le soleil était encore bas sur l’horizon, tellement bas qu’il était encore sous l’horizon. En conséquence de quoi, la côte ne signalait sa présence que par les quelques lumières qui, au loin, très au loin, scintillaient dans une brume qu’on devinait davantage qu’on ne voyait.

Par contre, sur la gauche, on apercevait parfaitement le phare des Iles Sanguinaires, qui, d’après ce que disait un passager, était reconnaissable grâce à ses trois éclats blancs toutes les quinze secondes, et qui est au golfe d’Ajaccio ce qu’est la statue de la Liberté à l’entrée du port de New York.

Le soleil commençait à sortir de son sommeil. Le jour pointait et La Corse se dévoilait doucement, sous la forme d’ondulations sombres qui se détachaient d’un ciel rougeoyant, aux regards émerveillés de ceux qui abordaient cette île pour la première fois, ceux de la diaspora qui revenaient au pays, la gorge nouée après, peut-être, des années d’absence. Pierre pensait que Christophe Colomb devait avoir eut une impression similaire lorsqu’il découvrit les terres au-delà de l’horizon de la pointe du Raz.

Depuis un moment les mouettes tournaient autour du bateau : les premiers autochtones venaient leur souhaiter la bienvenue. On croyait déjà sentir les premières effluves du « maquis sauvage » comme aimait fredonner Mamichou, une des chansons préférées de son chanteur fétiche : Tino. Peu à peu le paysage se précisait. On commençait à distinguer les habitations et chacun allait de son commentaire : « Ca, c’est le Scudo ! (la maison de Tino, justement), puis, passant de bâbord à tribord : « voyez Porticcio au fond ! », « on aperçoit la tour de Capitello ! ».

La pilotine, transportant le commandant qui devait assurer les dernières manœuvres au port, accosta le long du bateau et l’expert en la matière, escalada avec l’habitude de celui qui fait cela dix fois par jour, l’échelle de corde qui le propulsait avec des gestes sûrs, au niveau du pont. On arrivait. La ville basse d’Ajaccio à dominante ocre, s’étalait devant lui, ponctuée des taches vertes des palmiers et des platanes. Le port, que surmontaient les barres blanches de la ville haute, s’étalait dans toute sa majesté sous le regard impressionné de Pierre qui avait un petit pincement au cœur. Il pensait que le voyage était arrivé à son terme et que les choses sérieuses allaient commencer. Cela ne devait pas l’empêcher, toutefois, de profiter de la beauté du site, d’aller à la découverte des coins et recoins de cette ville que cette vue d’ensemble, en forme de carte postale prometteuse, laissait présager.

Un nouveau message se fit entendre pour annoncer aux passagers voyageant avec leur véhicule, de se diriger le plus vite possible vers le garage afin de ne pas entraver les manœuvres de débarquement. Pierre, compressé au milieu de la foule, se laissa entraîner vers le quatrième sous-sol, unique étage comportant des véhicules, en cette saison encore peu fréquentée. C’est la raison pour laquelle il n’eut pas de difficulté pour retrouver sa Clio, bien qu’elle était coincée entre un 4X4 tractant un Zodiac et une grosse BMW noire. Il fut impressionné, non seulement par la voiture, superbe, imposante, mais aussi par son propriétaire, qui devait certainement se rendre à un enterrement, coiffé qu’il était, d’un chapeau à large bord, le visage barré par des lunettes noires et la chaîne en or qui pendait négligemment de la pochette de son costume aussi noir que son véhicule. Son air assez lugubre (la tristesse sans doute de la perte d’un être cher), n’aurait tout de même pas incité à la conversation. A tout prendre, il préférait son compagnon de nuit qu’il avait d’ailleurs perdu de vue. Cette BMW lui donna un peu de honte par rapport à sa modeste Renault qui n’avait pas plus d’éclat ni de couleur que de chevaux sous le capot. Une BMW ? Au fait, pourquoi pas ? Il sera temps et possible de faire cette concession avec celle de Mercedes dans la même journée au retour. Encore, se dit-il, qu’il n’y avait pas le feu. Il aurait d’autres soucis concernant notamment la manière de placer au mieux cette fortune qui l’attendait là, peut-être à quelques kilomètres d’ici. Il s’était donné huit jours, comme ça, à l’estime, se fiant à son instinct, avant de pouvoir plonger ses mains dans ce trésor qu’il assimilait à un coffre rempli de pièces d’or, à l’instar de l’oncle Picsou. Qu’allait-il faire de tout cet argent ? Curieusement, il n’y avait pas trop pensé. Il faut dire qu’il en ignorait le montant mais aussi que Sophie, dans sa grande perplexité et sa sagesse avait été très prudente sur ce sujet.

Il n’eut qu’à suivre le flot la bonne centaine de voitures qui le précédaient pour se retrouver sur le quai, premier contact avec cette terre inconnue. Première surprise aussi, contrairement au visage qui figurait sur le drapeau corse, les habitants du pays étaient en majorité de couleur blanche. Le soleil commençait à être plus haut dans le ciel et déjà, malgré l’heure encore matinale, une douce chaleur baignait la ville. On était loin de Paimpol.

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8 octobre 2007

09 - La traversée

- « Mais l’usage de la raison, le souci de la rigueur, l’exigence de la clarté et le refus de l’équivoque n’ont pas seulement pour office de nous rappeler sans cesse que nous ne pouvons rien construire sur le fondement de notre mythologie, qu’il n’est pas possible de déduire de nos hypothèses des conclusions valables, que les échafaudages ne sont jamais des édifices. » (1) 

C’est avec une personne qu’il venait de rencontrer au comptoir du somptueux bar du Napoléon, illuminé par des milliers d’étoiles qui tapissaient le plafond, entouraient la scène vide de spectacle, aux lourds rideaux de pourpre, tombaient des colonnes, en imitation de marbre vert de Mitry-Maury du plus bel effet, escaladaient l’escalator doré qui menait au promenoir, dégringolaient des lustres formant un feu d’artifice d’ampoules multicolores et brillaient dans des reflets d’argent - et magiques - dans les yeux d’un personnel prêt à obéir aux ordres d’une clientèle clairsemée, qu’il entretenait ou plutôt, subissait, une conversation d’un niveau qui n’était naturellement pas le sien. Heureusement, il n’avait pas besoin de lui apporter la contradiction car son interlocuteur avait la faconde aisée, effrénée, surabondante voire débordante, impétueuse et prodigue. Il devait connaître son sujet le bougre.

Une phrase l'avait interpellé cependant  : « Les échafaudages ne sont jamais des édifices. ». Sans savoir pourquoi, il perçu instinctivement – l’instinct de l’animal aux aguets – qu’il y avait là, matière à réflexion. C’était encore un sentiment diffus. Pierre avait une sorte d’intuition aux couleurs d’une prémonition qui s’ignorait. A voir.

Chacun ses compétences. Il n’avait jamais fait ni dans la métaphysique ni dans la philosophie. Il n’avait jamais divagué dans les méandres torturés de l’esprit difficile d’un intellectuel, c’est-à-dire dans celui d’un penseur dont la pensée se limite à penser, donc d’un être inutile, une bouche à nourrir sans retour sur investissement. Et pourtant, pour ce qui est de la nourriture il en connaissait un rayon. Car, son truc, c’était la sardine, celle de l’Atlantique, mieux, celle de la mer d’Iroise, au large de Plouhinec. Qu’elle soit nature, au sel de Guérande, à l’huile d’olive de Nyons ou de Ghisonaccia, au vin blanc des environs de St Brieuc, qu’elle soit fraîche, en filet ou en boîte, ça, c’était du concret. Il travaillait pour le bien public non pour la dissection, la dissertation ou l’analyse de l’abstraction transcendantale.

Et pourtant, Pierre était en compagnie de ce type qui se triturait la tête avec un plaisir à peine dissimulé. Le plus pur des hasards avaient fait se rencontrer ces deux individus qui n’avaient rien en commun si ce n’est ce voyage d’une nuit qu’ils allaient partager pour aller de Marseille à Ajaccio. Ils s’étaient rencontrés bien malgré eux au guichet de la réception afin d’obtenir une cabine pour y passer la nuit. Jamais Pierre n'aurait imaginé que la distance qui séparait ces deux villes pouvait occasionner 10 heures de traversée. C’est la raison pour laquelle il du se débrouiller pour obtenir une couchette. Il y avait bien des fauteuils en pagaille mais la conjonction de la fatigue due à 24 heures de route en deux jours, même dans une toute petite Clio qui avait l'air d'une grande, et de son futur statut d’homme fortuné, l’obligeait à prendre certaines habitudes confortables. Il n’avait pas osé choisir une première classe mais il verrait au retour. Son compagnon de route était toujours extrêmement volubile et étalait son savoir au-delà du raisonnable : il avait trouvé quelqu’un qui n’osait pas le contrarier d’autant que Pierre, même si ce discours était pire que du chinois, lui donnait l’impression d’exister, d’être sur une autre planète: l'étage supérieur dans la hiérarchie des Hommes. Avant-hier encore, il vivait, coincé entre les frigos de la sardinerie, les montagnes de cagettes, les tuyaux de plastique, les flaques d’eau, les hurlements des matelots et des employés des docks, occupés à déménager les tonnes de poissons, les minauderies d’Isabelle la secrétaire, les émanations de gazole, les fumées, les klaxons des engins de toute sorte qui se croisaient dans les hangars comme en un ballet minutieusement arrangé, les odeurs de marées. iI n’aurait jamais imaginé ! Peu lui importait que ce type l’assomme avec ses propos incompréhensibles. L’effort qu’il faisait, à faire semblant de l’écouter, était le prix qu’il consentait à payer pour appréhender sa future position sociale.

Il n’empêche qu’il avait hâte de pouvoir s’allonger en espérant que son compagnon pour la nuit finisse par s’épuiser.

Cependant, ils sacrifièrent un moment à la sacro-sainte visite de ce superbe bateau, digne des plus grands transatlantiques de l’histoire de la marine à moteurs. Ils se mirent à déambuler dans les couloirs, les coursives, les salles de restaurant, les ponts, les solariums, les escaliers, les ascenseurs, les boutiques, les bars, la discothèque, la piscine fermée, le cinéma qui proposait le vingt-quatrième opus de Bond, James Bond, dont la séance ne commençait qu’à 22 heures. Pierre serait bien allé voir 007 mais il était épuisé. Son compagnon, lui, aurait préféré voir un Alain Resnais des années 60, ou mieux, un Yves Caumon. A la rigueur François Ozon. Mais ce n’est pas dans ce genre de salle que le cinéma d’auteur contemporain, dont il raffole, est à l’affiche.

Ils finirent par se coucher, non sans avoir éclusé un dernier verre au bar du pont N° 8, « Les amarres ». Pierre avait l’impression de « s’être fait une relation ». Il entrait doucement mais sûrement dans la cour des grands.

« Nous savons que la régression, fût-elle accomplie par ces trois figures, ne saurait en elle-même, devenir la source d’une modification… » (1)

Pierre dormait à poings fermés, doucement bercé par le roulis d’un côté et le tangage de l’autre, dans une mer plate comme une affiche qui serait collée sur un champ de ruines.

(1) Citation, (sans l’aimable autorisation), d’un ouvrage de François Roustang : « Comment faire rire un paranoïaque », aux éditions Odile Jacob, ISBN 2-7381-0818-0, imprimé par Brodard et Taupin, 32087 La Flèche. 

5 octobre 2007

08 - Marseille

Marseille !

« Le port Autonome de Marseille (PAM) est un établissement public de l’Etat français qui exerce conjointement des missions de service public administratif et des missions de service public à caractère industriel et commercial. »

C’est peut-être difficile à placer dans n’importe quelle conversation, surtout dans le milieu de la sardine dans lequel Pierre baignait, mais il avait l’impression d’avoir lu quelque chose de fort. Il s’était procuré, en arrivant en ville, dans un office de tourisme, dans le souci de gagner du temps, un dépliant qu’il avait déplié devant lui. Il était agrémenté de quelques photos techniques sans intérêt mais le texte avait une certaine allure. Il n’était pas dans son intention de faire le distinguo entre un service public administratif ou à caractère industriel et commercial. Non mais il se rendait compte que le port de Marseille, c’était quelque chose ! Ce document lui avait surtout servir à trouver son chemin. La chose lui avait été facilitée par le fait que le port se trouvait en bord de mer. Ah, la mer ! Il la connaissait la mer, lui, l’enfant de Plouhinec, au fin fond du Finistère, là où finit la terre comme lui disait son Erwan de père. « Tu vois, mon fils, au loin, là bas, en direction du coucher du soleil, c’est l’Amérique ». Il l’avait cherchée cette Amérique dont il avait tant rêvé mais il ne l’avait jamais vue. Pourtant il était souvent venu, le soir, quand il arrivait qu’il ne pleuve pas, quand le ciel était dégagé sur l’horizon, à l’heure du coucher du soleil, tenter de l’apercevoir cette foutue Amérique. En vain. Il était vrai que, regarder en direction du soleil l’éblouissait. Peu importe, le bateau qui devait être, à cette heure ci, c’est-à-dire aux environs de 20 heures, à quelques encablures de lui, ne l’emmènerait pas au pays du soleil couchant mais l’en rapprocherait via le pays de l’Empereur.

Il s’était un peu perdu dans le dédale des rues des quartiers de Marseille, passant de Noailles à Endoume, de la Vieille Chapelle à St Tronc, de La Valentine à la Fouragère, de L’Estaque à St Mitre, de la Belle de Mai à Castellane, du Rouet aux Baumettes (ah, les Baumettes du commissaire Broussard !), de La Timone à La Treille, de St Antoine à St Henri, enfin, du Panier à la Joliette en passant par le Vieux Port, Notre Dame de la Garde, la Cannebière, les Chartreux le palais de Longchamp, la cathédrale de la Majore et la gare St Charles avec la porte d’Aix.

Sans doute avait-t-il fait quelques kilomètres de trop mais l’important était d’arriver à l’heure. Il était même un peu en avance. Il aurait pu passer par la corniche, le stade vélodrome, le Verduron, la Barasse, Mazargues et les Calanques en finssant par le palais du Pharo, le fort St Nicolas et st Jean.

Tout était beau dans cette ville oui grouillaient étroitement emmêlés hommes d’affaires, tramways, marchandes de poissons, jeunes filles de mauvaise vie, vélos de location, borsalinos, enfants de tous pays et joueurs de football.

D’après le plan de la ville le quai de la Joliette longeait la mer mais il fallait le savoir tant étaient hauts les bâtiments portuaires gris, les rampes d’accès, la foultitude de grues de toutes les couleurs, de toutes les hauteurs qui lui masquaient la vue. Tous les panneaux directionnels lui donnaient le tournis et semblaient se superposer, se cumuler et s’entasser. Il crut qu’ils se contredisaient. Il failli prendre la direction de Toulon par le souterrain qui passait sous le vieux port alors qu’il voulait prendre la direction du quai 29 bis qui prétendait le porter vers l’embarquement quasi immédiat pour Ajaccio, SNCM, Corse. Non, pas le souterrain ! Il le connaissait puisque dans la dernière demi heure il l’avait emprunté trois fois. Enfin, il trouva, avec l’aide de plusieurs employés du port qui sont à féliciter pou leur amabilité, leur patience, leur sens du service public, leur obstination, leur pédagogie qui lui permirent d’accéder au quai 29 bis.

Ce n’est pas sans un émerveillement qui lui serra la gorge, qui lui fit briller des yeux pourtant fatigués qu’il découvrit toute la majesté le « Napoléon Bonaparte » qui étalait sa magnificence devant lui. Qu’on en juge : 172 mètres de long, 30,40 mètres de large, un tirant d’eau de 6,60 mètres, une vitesse de 23,8 nœuds, une puissance de 43 100 kW, une capacité de passagers de 2 462 personnes, capacité de 708 voitures sur trois niveaux, des stabilisateur anti-roulis, tout cela pour une mise en service datant de 1996 !

Un vrai générique de film qui serait signé James Cameron ou Max Pecas. Si le tirant d’eau e les nœuds restaient mystérieux pour lui, il aurait volontiers concéd que ce bateau avait une autre dimension que les chalutiers de Douarnenez ou la péniche de l’Armée du Salut au Quai de la Rapée à Paris.

3 octobre 2007

07 - Vers la mer

Il faisait encore nuit quand le téléphone coupa net le moteur de sa limousine qui le conduisait vers Los Angelès. Il étira ses jambes de tout son long sans problème. L’arrière de la voiture avait suffisamment de place pour contenir dix huit personnes, la table de salon, le home cinéma, le bar et un canapé de taille modeste (encore que), bien utile qui lui permettait de se détendre chaque fois qu’il avait accepté de diriger les visites particulières de son véhicule à l’intention de charmantes demoiselles, adhérentes d’un « cars club fans ». Il crut un instant que le chauffeur s’était arrêté pour faire le plein de bio carburant, en l’occurrence des essences extraites de l’épicarpe, qui est, comme chacun sait, la peau d’oranges, uniquement produites dans la Banana-Valley, proche de Jackson City, banlieue ouest de Sacramento. On ne traversait pas l’Etat de Conan le Barbare, appelé parfois par ses compatriotes et intimes « Schwarzenegger, Arnold » en polluant impunément notre belle planète.

Non, il faisait nuit noire et les plafonniers, composés uniquement d’appliques de Murano étaient tous éteints. Seule, la veilleuse indiquant la sortie de secours, diffusait une vague lumière permettant de se repérer dans les couloirs et de trouver les toilettes. Il était prêt à sermonner Brian pour cet arrêt intempestif quand le silence fut troublé par cette sonnerie du téléphone programmée à 5 heures du matin. L’heure des braves voyageurs. Impossible : pas sur la N27643 qui relie Victorville à Boulder City, le long de « Mojave National Preserve » !

Et pourtant ! Lorsqu’il entendit ces mots terribles : « Albert, magne toi l’cul, y s’ra pas temps pour s’taper l’Milassou* d’Raymonde », Pierrot comprit qu’il y avait un malaise : un rêve idiot, l’avait entraîné outre atlantique quelque peu prématurément. Il n’en était pas encore à écumer les casinos de Las Vegas. Pas encore. Mais il pensait que chaque kilomètre parcouru le rapprochait inexorablement vers un de ses rêves d’enfant : voir Céline Dion au Caesar Palace ! Pour l’instant, il n’était qu’à Brive, toute La Gaillarde qu’elle fut, même si cela ne changeait pas grand-chose à l’affaire. Dure fut la chute.

Il prit un petit déjeuner copieux, composé d’un peu de ragoût de mouton et de salade à la feta, le tout arrosé d’un succulent pichet de Gaillac. Il était fin prêt pour prendre la direction de Marseille après avoir payé l’addition qui effraya un peu sans pour autant écorner son enthousiasme. Au pire, c’était une bien maigre avance sur le magot. « Oh, Bonne Mère, me voilà ! » pensa-t-il, triomphant, sur un air de « je m’voyais déjà », tout sourire, se rappelant une réflexion de son frère Armand quand celui-ci regardait son équipe préférée affronter « l’Oème » à la télé. En effet, Armand avait un frère, prénommé Pierre.

Le ciel couvert, bien qu’il fit encore nuit, s’éclaircit progressivement en descendant vers le midi. La température montait au thermomètre du tableau de bord, au même rythme que son excitation. Il avalait les kilomètres comme certains périgourdins ingurgitent le boudin noir dans des concours du Comice Agricole. C’est à peine s’il regardait le paysage. Les panneaux défilaient devant lui sans qu’il y prenne garde. Sa boussole interne ne le trompait jamais : il l’avait réglée sur est-est-sud et il n’aurait pas dérogé à cette direction. Marseille, la ville de… ????, le port, le « Napoléon Bonaparte », bateau qui l’amènerait à la fortune. La fortune ! Cela lui rappelait une émission populaire de la télé, intitulée : la « route de la fortune ». Même s’il ne se rappelait plus trop de la règle du jeu, il savait qu’elle était animée par une magnifique blonde, comme il aimait. Il n’avait d’yeux que pour elle ; Sophie en beaucoup mieux. Beaucoup mieux. Quelle magnifique et généreuse animatrice, aidée qu’elle était, dans sa tâche, par un faire valoir, un certain Dechavanne. Beaucoup mieux que Sophie!

Bien qu’il ne quittait pas du regard la ligne blanche centrale de la route qui lui jouait des tours, parfois continue, parfois discontinue, parfois totalement absente, parfois double sans que le Gaillac y fut pour quelque chose, il remarqua, malgré tout, les toits de tuile de plus en plus fréquents se profiler à l’horizon de Barbeira. « On dirait le sud » se dit-il. Mais il ne prêta guère attention aux panneaux qui indiquaient les villes et villages tant de fois chantés par les poètes hélas disparus : « Souceyrac », « La Canourgue », « Anduze » etc, etc !

Enfin, vers 19 heures, l’urbanité du paysage devint de plus en plus marquée. La circulation devint plus dense aussi. Lorsqu’il croisa Marius et Jeannette il n’y eut plus de doute : Marseille, enfin !

* Spécialité Périgourdine : gâteau moelleux à base de farine de maïs et d’amandes. http://www.linternaute.com/femmes/cuisine/recette/315637/1199107867/
millas_perigourdin.shtml

Elle était accompagnée par un bruit bizarre qui n’étaient pas sans lui rappeler d’anciennes vacances chez sa tante à Gennevilliers : le « camion des poubelles ».

29 septembre 2007

06 - Le départ

La route fut longue. Pierre avait prévu d’effectuer le trajet en deux jours en homme plein de prévoyance qu’il était, afin de se prémunir de tout aléa pour aller à Marseille. Pierre eût beau quitter son cher Plouhinec de bonne heure, il arriva tard le soir, à Brive la Gaillarde, dans un hôtel proche de la gare. Il était fatigué et les courbatures l’avaient fait souffrir et avaient gâché le plaisir du voyage. Marseille : ce n’est pas la porte à côté. Pourtant il avait soigneusement étudié la route qu’il devait prendre. En préparant avec tout les soins qui conviennent et fidèle à ses méthodes d’homme minutieux et prévoyant, il avait étalé pour cela, sur le sol de la salle à manger, la carte Michelin 989, et avait tracé au crayon une ligne droite joignant le lieu de départ au lieu d’arrivée, se rappelant que la ligne droite est le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre. C’est ainsi que le parcours lui avait permis d’éviter la circulation insensée, notamment entre Quimper et Nantes, encombrée de poids bien trop lourds pour la petite Clio, préférant la tranquillité des chemins de traverse et le côtoiement bien sympathique des tracteurs et autres engins agricoles qui fleurissaient en ce beau jour de printemps pluvieux à souhait, comme on les aime en pays Bigouden.

Cependant, considérant le rapport entre la distance parcourue et le temps passé, il se demanda s’il avait bien fait d’opter pour un tel trajet. Quand il eut son fils (et Sophie) au téléphone, il lui demanda de faire un exercice de mathématiques consistant à calculer la moyenne horaire. Il lui donna les informations suivantes : heure de départ (6h00), heure d’arrivée (21h30), diminuée des temps d’arrêt (3h00) et enfin, le kilométrage effectué (672 km). N’étant pas trop « fort en maths » il avait préféré trouvé ce prétexte éducatif pour faire faire le travail par son fils. Il se demandait, en effet, s’il avait fait le bon choix. Trop tard pour envisager un autre trajet pour le lendemain : il était perdu au milieu du massif central et il n’avait d’autre issue que de continuer droit devant.

Après un bon repas bien reconstituant qu’il avait apprécié à sa juste valeur (il avait déjà oublié les huîtres de Cancale, il retourna dans sa chambre qui portait le numéro 4389 située au quatrième étage sans ascenseur. Modeste la chambre. La fenêtre donnait sur la cour et la douche n’était pas bien chaude. Pierre n’en avait cure. Il en avait connu bien pire. Il se consolait en se disant que, d’ici quelques jours, ce n’est plus l’hôtel des Aiguilleurs, à Brive, qu’il fréquenterait mais le Carlton à Cannes, le Crillon à Paris, le Waldorf Astoria à New York ! Belle revanche de la vie ! C’était même avec un peu de condescendance qu’il avait jeté un regard quelque peu hautain sur les rares clients qui se trouvaient encore dans le salon, à regarder « Desperate Housewives » à la télé dont les chambres n’étaient pas pourvues. La facilité de Pierre à s’adapter à une nouvelle situation comme à un nouvel environnement, était proprement déconcertante.

C’est quand il se glissa dans des draps qui avaient la fraîcheur et l’humidité de l’air extérieur que le téléphone le surpris : il était près de 23 heures et Konhouarn le rappelait pour lui donner la solution de son problème. Il avait cette petite voix qui trahissait la fatigue et le drame. Une gorge serrée et des reniflements : le courroux de Sophie avait dû s’abattre sur sa tête à cause des difficultés qu’il avait probablement rencontré pour résoudre cet exercice. Pierre le remercia chaleureusement avec quelques mots gentils, susceptibles de le rassurer tout en marmonnant des félicitations. Quand il eut raccroché, il culpabilisa et se demanda s’il n’y avait pas été un peu fort. Il n’était encore qu’en CE1

53,76 kilomètres par heure. Cela devait faire peu. Demain, il faudrait se lever encore plus tôt, il y a un bateau à prendre et pas question de le rater. Perdre une journée supplémentaire ce serait repousser d’un jour la date de l’arrivée de la fortune. A partir de maintenant, il allait falloir accélérer le mouvement et commencer par se dépêcher de dormir ce qui ne fut pas évident, attendu qu’il se mit à rêver, encore éveillé, au modèle de voiture qui allait remplacer sa Clio. En rentrant, il passerait chez Mercedes à Quimper chez Armor Autos. Comme ça, pour voir.

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24 septembre 2007

05 - Les préparatifs.

C’est ainsi que commença le périple dont Pierre n’avait aucune idée quant à la suite des évènements.

En homme très organisé, il consulta la mappemonde, éclairée de l’intérieur, qu’il avait offert à son fils trois ans plus tôt, dans l’espoir de situer l’île de Bandor, l’île du Levant, afin de trouver la position exacte de la Corse et afin de réfléchir sur la meilleure façon de s’y rendre. Sophie ayant décidé de ne pas l’accompagner, le voyage se compliquait singulièrement. Il avait beau avoir bourlingué des années durant du nord au sud du Finistère, hanté certains quartiers peu reluisants du XVIIIème arrondissement de Paris, il aurait préféré effectuer ce voyage avec son épouse. Cela n’aurait pas signifié pour autant qu’il aurait joint l’utile à l’agréable. Il aurait mieux fallu dire «  joindre l’utile à l’utilitaire ». Et puis, une semaine sans Sophie, après tout, cela ressemblait à de vraies vacances ! Il sous estimait probablement l’aspect « utilitaire » de sa charmante épouse. Qui s’occuperait de ses chaussettes, de ses casses croûte ? Pierre avait cette formidable dose d’inconscience nécessaire à tout homme qui prend des risques sans lesquels tout être humain ne peut évoluer, se transcender.

Hélas, la mappemonde lui fut de peu d’utilité car il n’arriva à trouver ni Bandor ni Levant. Il demanda à son fils Konhouarn de l’aider et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la carte Google affichait sur l’écran plasma 19 pouces : et la Corse, et la ville d’Ajaccio et la moitié ouest de la Méditerranée où l’on pouvait situer Marseille, Toulon et même Cassis ! Ah le bon blanc-cass ! Rien de tel pour remettre un honnête homme en forme « chaque matin avant le turbin » comme disait une vieille chanson qu’il aimait à fredonner. Ca, c’était une trouvaille descendue du ciel de petit papa Noël dernier : un ordinateur que Pierre avait gagné à la tombola organisée par l’Association « Breizh Ar Cuivres », dynamique fanfare de Plouhinec qu'il avait fréquenté il y a bien longtemps. Ce lot était tombé à pic. Comme avait dit Sophie, « ça fera ça de moins à dépenser. On pourra ajouter de la confiture dans la sauce Grand Veneur à l’occasion du repas de nouvel an, puisque ta mère nous fait l’immense plaisir de s’inviter ». Elle avait appuyé le mot « immense ». Il y avait beaucoup d’ironie, de rancœur et de fiel dans son propos. Mais Pierre avait pris cette phrase au premier degré et en était reconnaissant à sa femme pour tous les égards qu’elle ne manquait jamais d’avoir pour Mamichou.

Bateau ? Avion ? Après bien des heures passées au téléphone auprès des différentes agences de voyage de Morlaix, il se décida enfin à prendre une décision : ce serait en bateau jusqu’à Marseille. Ils n’avaient qu’une voiture : une Clio ancien modèle qu’ils voulaient changer à la rentrée en comptant sur les bénéfices occasionnés par une future probable prochaine et vraisemblable bonne pêche de sardines du golfe de Gascogne. Ils comptaient sur les nouvelles directives de Bruxelles tant de fois promises, qui avait décidé « de clouer le bec et raccourcir les filets de ces salopards d’espagnols ». (Dixit la déclaration en catimini du Ministre Européen de la Mer). Sophie irait à bicyclette à son travail. En effet, il pensait qu’il lui faudrait rouler pas mal là bas et le prix d’une location de voiture l’en avait dissuadé, même pour huit jours. Restait le problème des congés qu’il fallait régler. Le patron des « Sardineries de Ploemeur » était un homme compréhensible. Il ne lui poserait aucun problème. Celui-ci avait d'ailleurs constaté en bon chef d’entreprise et en bon manager des Ressources Humaines, qu’un de plus ou un de moins dans l’effectif, surtout dans le cas de LEHOUFF, ne mettrait pas la boutique en péril.

Sophie semblait se désintéresser de la question. Elle ne croyait pas beaucoup à cette histoire de chasse au trésor. Une semaine sans Pierre n’était pas la fin du monde. Et puis ainsi, elle aurait la paix, et pourrait se concentrer pour terminer son ouvrage : le bonnet breton en dentelle de Ploemeur qu’elle comptait finir avant le Téléthon, pour l’offrir aux malheureux démunis du Darfour.

18 septembre 2007

04 - La réaction de Sophie

Ce n’est pas en reposant cette lettre, bien qu’il l'ait lue plusieurs fois, qu’il réalisa encore l’importance de son contenu. Tout s’embrouillait dans sa tête. Pourtant, cela faisait une bonne heure qu’il était levé et il n’y avait pas moyen de réagir malgré son esprit en permanence sur le qui-vive. Ange Marie ? Connais pas. Qui pouvait bien être ce personnage dont le nom, dans le désordre, était singulièrement féminin ? La Corse ? Ah oui, cette île qui fait souvent parler d’elle, située sans doute entre l’île du Levant (que Pierre connaissait, non pas pour sa base militaire mais pour ses naturistes, et l’île de Bendor, propriété de la famille Ricard, son apéritif préféré. Ah, la famille Ricard ! Oui, Pierre connaissait la Méditerranée. Un peu. La preuve. Même s’il situait la Corse plus qu’approximativement. Il avait bien vu l’équipe de Bastia à la télé car il était abonné à Foot + sur Canal du même nom et il s’était même étonné de se rendre compte, sur le tard, que, contrairement au drapeau que les supporters brandissaient en permanence malgré la faiblesse de l’équipe, les habitants, en tous cas ceux qu’il distinguait dans les gradins, étaient de race blanche.

En réfléchissant il eut soudain la révélation : la Corse : Mais oui, mais c’est bien sûr ! Tino Rossi, (caterinetabella tchi tchi) que lui rabâchait sans cesse sa chère maman, Napoléon, c’est lui le fameux empereur ! Colonna, le berger mal rasé dont il revoyait soudain la photo sur les affiches, à l’entrée comme à la sortie du commissariat et sur la vitrine de sa boulangère (en fait, la boulangerie). Lui revenait également l’image d’un certain commissaire Broussard, avec qui il avait eut à faire autrefois, qui lui a parlé de cette île, d‘ailleurs, dans des termes peu élogieux. Il avait dû y passer des vacances. Mauvaise météo ?

Affalé sur le divan, il regarda la pendulette qui servait de phare (ou le contraire), souvenir d’une semaine de vacances à Plouhinec avec le Comité d’Entreprise. Elle indiquait 8 heures. Ciel ! Sophie ! Oublié de la réveiller !

"Sophie, Sophie, debout ! T’as pas vu l’heure ?" Bien sûr que non. Sophie n’avait pas vu l’heure, vu qu’elle était en plein sommeil ! Vu ?

Ce matin là, tout le monde allait être en retard au travail. C’était de peu d’importance. S’il y avait le pactole au bout. Au bout de quoi d’ailleurs ? Qu’importe le patron : les vacances pour le reste de la vie. Pas d’emballement cependant. Sophie, à son tour, lu et relu plusieurs fois cette lettre sans s'être passé la main dans ses longs cheveux défaits qui tombaient sur son visage à la manière d'un yorkshire. Ils avaient bien compris la même chose : la chasse au trésor. Mais cet Ange Marie, qui était-ce ? Ce nom ne disait rien, ni à l’un, ni à l’autre. Ils n’avaient même jamais mis les pieds au bord de la Méditerranée, car ils passaient toutes leurs vacances aux environs de Plouhinec, pas loin d’Audierne, dans le Finistère, leur département d'origine à tous les deux. Un copain de régiment ? Il avait effectué un service militaire extrêmement brillant puisqu’au bout de ses deux mois de classe, à Rennes, le capitaine l’avait convoqué un soir de Janvier et il l’avait remercié pour ses bons et loyaux services. Il l’avait prié, privilège exceptionnel, de rentrer chez sa maman. Il n’avait guère eu le temps de faire des connaissances surtout qu’il avait été affecté durant ces huit semaines, à démonter, à huiler et remonter des MAS 72 à longueur de temps dans une sous sol de la caserne. Il était devenu expert en la matière puisqu’il ne lui fallait, à la fin de son séjour (le mot « jour » est un peu exagéré dans la mesure où il travaillait le plus "clair" de son temps dans un sous-sol mal éclairé) que 4 minutes et vingt huit secondes pour réaliser l’ensemble de l’opération. C’est que Pierre a toujours éclaboussé d’un talent immense tout ce qu’il touchait. Son travail a toujours été salué par  ses pères.

Sans oublier sa mère et son capitaine.

N’empêche, ce n’était pas là qu’il avait rencontré beaucoup de monde.

« Il y a erreur sur la personne » s’exclama Sophie, en s’effondrant sur le canapé avec un air de désolation qui suivait cet espoir aussi fugace qu'insensé, qui avait illuminé, le temps de quelques minutes, un visage qui ne demandait que ça. Car Sophie n’était pas du genre boute en train ce qui se traduisait par un faciès relativement érodé, usé, flétri, délabré, décati, fané par les épreuves de la vie malgré un âge qui lui aurait permis d’être totalement épanouie. Elle avait envisagé d’ailleurs de se « refaire le portrait » comme elle disait. Même qu’elle avait été consulter un éminent spécialiste, à la clinique de la Mouette à Paris (et non à Douarnenez comme on aurait pu s’y attendre, vu qu’ils aimaient bien la Bretagne). Mais le professeur Nicolo l’en avait dissuadé car l’importance de l’intervention l’aurait obligé à lui présenter des dépassements d’honoraires faramineux. Du coup, elle avait laissé tombé. Et puis, si elle s’était lancée dans la chirurgie esthétique, il aurait fallu (c’était le discours du professeur Rigolo) « customiser » l’ensemble de la personne. « On ne refait pas le capot avant sans remonter un pare choc qui traîne par terre » lui avait dit le spécialiste, sans rire.

Sophie, ce matin d’avril ne riait pas. « Qu’est-ce que t’en penses, LEHOUF ? » demanda-t-elle à son « Pierrot » qu’elle aimait appeler, parfois et dans l’intimité, par son patronyme quand d’autres utilisent des douceurs telles que : « mon susucre, ma bichette, ma peluche, mon nounours, amouramoi, mon cœur, ma douce ».

Pierrot LEHOUF ne savait que penser. « Je m’étais mis à rêver, se dit-il en lui-même, et cette pétasse me casse la baraque ! ».

Mais il ne se laissa pas abattre ainsi. Les connexions de son cerveau se mirent à fonctionner à la vitesse de la lumière. Et même un peu plus. Après moins de dix longues secondes de réflexion, (ce qui prouvait qu’il était encore tôt ce matin et que son esprit n’avait encore atteint sa vitesse de croisière), il déclara solennellement :

« Ne t’en déplaise, choupette, cette missive ne tombe pas du ciel par hasard. Elle nous est destinée par je ne sais quel Jeu du sort. Et c’est bien NOUS qui allons récupérer cette fortune. Personne ne nous connaît dans cette histoire. Nous ne connaissons personne. L’occasion est trop belle ! Ti-namour, se fit-il plus convaincant et à peine plus tendre : nous allons bientôt pouvoir quitter cet immeuble de merde, sortir de ce quartier pourri, cette région de cons et aller vivre aux Caraïbes ou à Sumatra ou à l’île de Pâques. Tu te rends compte ? La belle vie enfin ! Nous avons gagné le Jackpot, le Loto, le Keno, L’Euro million. On ne va pas laisser passer une chance comme ça »  insista-t-il en secouant les épaules de sa douce.

La réponse de la douce en question ne se fit pas attendre : « Vas-y sans moi. Si tu crois encore au Père Noël à ton âge, c’est ton problème ».

Pierre eut alors, comme une hallucination divine: le Père Noël ! Tino Rossi ! C’était un signe venu du Ciel. C’est tout ce qu’il attendait. « Quand j’arriverai en Corse, j’irai déposer des fleurs sur la tombe du chanteur préféré de maman. Y aura bien des gens pour me renseigner pour la trouver car je n’aurai pas que ça à faire. Ange Marie, tu es un mec formidable. Je t’aime, j’arrive ! »

17 septembre 2007

03 - Jeu de piste

Pierre ne s’était pas trompé. Son infaillible instinct l’avait alerté à propos de la teneur exceptionnelle de ce courrier surtout quand il déplia, avec une certaine angoisse, le fameux document joint. Une chose le frappa immédiatement : l’écriture difficilement lisible, faite de caractères désordonnés, tantôt penchés en avant, tantôt en arrière, parfois de taille différente. Une constante : les lignes étaient toutes inclinées vers la gauche. Un graphologue aurait conclu de la manière suivante : « une difficulté d'adaptation dans la société, de l’hypersensibilité, voire de l’agressivité, un tempérament qui ne parvient pas à s'imposer. Manque de confiance en soi, voire malhonnêteté ». Bigre !

Il y avait également du tremblement dans l’écriture. Elle ressemblait à celle d’un vieillard qui a perdu une bonne partie de la sûreté de ses gestes. Pourtant, « Il » n’avait que 53 ans. Pierre s’en voulu de ne pas avoir, dans la panoplie de tout son savoir, des notions de graphologie qui lui auraient sans doute permis de lui donner une image précise de cet homme, ses intentions, son âge, son sexe, la couleur de ses cheveux, son type de femmes, les circonstances de sa mort, bref tout ce qui pouvait être important pour cerner ce mystérieux personnage. Soudain, en se frappant la main restée libre contre son front, il réalisa qu’il avait presque tous ces renseignements:là, sous ses yeux ! « C’est vrai, je n’ai pas encore pris mon café. Oh, Pierrot, réveille toi ! ». Trop impatient d’en savoir davantage, il se mit en devoir de lire la seconde lettre. Il dû même s’y reprendre à deux fois, peut-être même à trois pour décrypter ce message aussi surprenant :

« Salut Pierrot,

Si tu lis cette lettre c’est que ça s’est pas bien passé pour moi. Je ne sais pas si tu te souviens de moi : Ange-Marie Petrucelli, dit « Trompe la mort ». Tu te rappelles ? Eh oui, voilà plus de trente ans que nous nous sommes perdus de vue. Je ne t’ai pas rappelé, toi non plus, c’est la vie. Un avantage ; cela a peut-être évité de se fâcher. En effet, je suis en très mauvais termes avec tout le monde. « Grave », comme me disait mon fils Paul que tu n’as pas connu et qui ne me parle plus depuis des années. « Infiniment regrettable » comme me le répétait cette garce de Marie-Françoise, mon ex-épouse.

Alors voilà, malgré mon âge qui pourrait me laisser espérer encore un bel avenir, je sens ma fin prochaine. Non, je ne suis pas malade. De ce côté (c’est bien le seul) tout va bien. Ce qui va moins bien, par contre, ce serait, comme qui dirait, sur le plan relationnel. Quand je te disais que je n’ai plus d’amis c’est que je n’ai plus d’amis. Ils se sont transformés en ennemis. Pourquoi ? Va savoir ! La politique peut-être, quelques copines, sans doute. Nous avions fait aussi des affaires ensemble. Je ne t’en dirai pas davantage, ce serait trop long à t’expliquer. Elles ont mal tourné. Toujours est-il que je me suis retrouvé à la tête, sans le vouloir vraiment, encore que, d’un immense pactole, des briques en pagaille. Les circonstances ont fait que je n’ai pas pu en faire profiter ceux avec qui j’avais récupéré cette manne, ceux qui étaient encore mes « amis » il y a peu. Ceci, malgré ma propension à partager jusqu'à une de mes nombreuses chemises. C'est dire! Dieu m'est témoin!

Jalousie de ma réussite sociale ? C’est vrai que j’avais quitté le « bar des supporters de l’ACA(1) » au profit du « Grand café du Cours ». C’est vrai que j’ai troqué ma Simca 1100 pour une Fiat Uno neuve avec alarme de recul. C’est vrai aussi que je me suis mis à porter des « Ray Ban » mais ça, ce n’est pas de la coquetterie, c’est à cause des reflets du soleil quand je fais mon quinté au café « Chez Francis ».

Bref, mes briques m’attirent des tas d’ennuis et me pèsent. Aussi, je me suis dit que, s’il m’arrivait des bricoles, je préfèrerais que ce soit toi qui puisse en profiter. Tu en seras averti par le notaire de l’ex mari de celle qui fut la compagne de mon voisin de palier et dont j’avais eu une aventure (en tout bien toute horreur comme elle aimait dire) avec la sœur de sa femme.

Or, malgré toute l’estime que j’ai pour toi, ce que je te lègue se mérite. Il va donc falloir aller le chercher car j’ai soigneusement planqué ce magot tant convoité. Te rappelles-tu mon caractère ? « Puisqu’ils le veulent, ils ne l’auront pas. Je ne me fais pas extorquer mon bien : je le donne ». Une seule condition cependant : Il faudra en prélever une part afin de consacrer le nécessaire pour me construire une chapelle, plus belle que celle de ces salopards de Tomasetti, qui m’ont tant fait de mal dans le passé, jaloux qu’ils étaient parce que j’avais réussi mon entrée du premier coup au lycée Fesch, dans le cimetière de Tenda di Borgu qui fait face à la mer. Tu planteras aussi et à côté, un de ces cyprès de Toscane que j’aime tant ! Tu en trouveras chez Jardiland à Mezzavia. Rassure toi, il en restera suffisamment pour te construire un château au moins aussi beau que celui des Pozzo di Borgo !

En deux mots, voilà comment t’y prendre pour récupérer le magot :

J’ai rédigé une lettre d’une page qui se trouve disséminée en quatre parties aux quatre coins de la Corse. Il te faudra en trouver trois, selon la formule du jeu de piste. En rassemblant ces trois morceaux tu auras l’ensemble du texte dans lequel j’évoque des souvenirs anodins de jeunesse. Il te faudra le décrypter et cela te permettra d’avoir l’adresse de la personne qui détient la quatrième partie de la lettre et, après juxtaposition, (j’ai trouvé ce mot dans le dictionnaire), elle te donnera l’indice manquant pour te conduire à l’endroit ou se trouve cette fortune. Evidemment, chaque personne que tu auras l’occasion de rencontrer ne sait rien de cette affaire et ne se connaissent pas entre elles. Mon trésor est bien caché.

Pour commencer ta quête, rends toi chez madame Benedetti à Ajaccio, (je ne me souviens plus de son véritable prénom car je l’appelais toujours Simone en souvenir de l’actrice qu’elle aimait beaucoup). Tout ce que je sais d’elle, c’est qu’elle habite pas loin de la maison natale de Napoléon, dans une petite rue, au 2ème étage. C’est pas difficile, elle étend toujours son linge sur un fil qui traverse la rue. Je crois même qu’il devait s’agir de vêtements. Ce détail devrait t’aider. Quand tu la verras, présente toi : dis lui que tu es un ancien ami à moi et ajoute dans la foulée, le mot de passe qui suit : « tes carottes sont cuites ? ». N’oublie pas l’accent d’interrogation. Cette formule est une allusion à la recette que je préférais quand nous allions lui rendre visite le jour de la St Jean Baptiste : « le sauté de veau aux olives ». Elle te donnera quelque chose pour poursuivre ta quête. Donne lui de mes nouvelles, elle sera contente.

Je vais te quitter en souhaitant, à l’heure où j’écris ces lignes, que tu n’auras pas à me lire. Sinon, je remets mon âme à Dieu.

Bon voyage, bon séjour chez nous. J’oubliais : les corses sont des gens formidables et accueillants. Il faut simplement savoir les respecter mais ça, c’est valable pour tout le monde.

Mes amitiés posthumes.

Ange Marie

P.S. Encore un oubli : Elle ajoutait des carottes aux olives. »

(1) ACA : Athletic Club d'Ajaccio, club de football évoluant en Ligue 2

15 septembre 2007

02 - Un courrier étonnant.

C’est avec une certaine fébrilité qu’il déchira l’enveloppe. Il n’en connaissait pas son contenu mais il savait qu’il allait se passer quelque chose d’important, voire de définitif. Il ne lui fallu pas plus de dix secondes pour mener à bien cette opération. Cela ne l’empêcha pas, malgré ce laps de temps très court, de penser,-  car Pierre avait cette faculté, comme tous les êtres sensiblement supérieurs à la moyenne, de mener à bien deux choses en même temps -, à cet évènement qui le taraude encore certaines nuits ou il lui avait fallu, un matin tout comme aujourd’hui, ouvrir une lettre de redressement fiscal (pour avoir omis de déclarer sa prime de vacances) tout en songeant qu’il avait, l’après midi même, un rendez-vous avec Sophie, quelques mois plus tard par un « oui » très officiel et franchement calamiteux. Chère Maman !

C’était une lettre officielle, avec une superbe « en-tête » au nom de : « Maître Pietrosimoni fils », Notaire, sis, 18, boulevard de la Revanche de Waterloo, Bloc H, bâtiment 12, 3ème sous-sol, face à la mer, 20 000 Ajaccio » Elle était accompagnée d’une sorte d’armoirie qui retraçait (en résumé, bien entendu) la vie tourmentée d’un certain empereur qui aurait, selon les informations écrites en lettres minuscules, marqué l’Histoire. Pierre, avait, ce que d’aucuns considéraient comme un défaut (alors qu’il nageait au milieu d’un océan de qualités), l’intelligence de mettre l’essentiel entre parenthèse, pour jeter un dévolu sur Le détail qui pouvait lui sembler plus important que le reste. Toujours ce sens supplémentaire. Cette façon d’appréhender les choses, aussi surprenante qu’elle soit, lui avait parfois été fort utile quand il s’était trouvé dans certaines situations périlleuses. Il avait eu le reflex, afin d’en savoir davantage sur la vie de cet empereur, de se précipiter sur « Mon premier Larousse » situé sur l’étagère de la chambre de son fils âgé de 10 ans. Oui, Pierre avait un fils. (De dix ans). Mais il avait craint de le réveiller. Alors il décida de différer une belle occasion d’enrichir sa culture générale. Il était temps de revenir à l’objet de cette intrigue : le corps de la lettre de Maître Pietrosimoni. Alors il logea dans un casier déjà bien encombré de son cerveau, réservé à ce qu’il appelait « ses affaires en instances » : l’armoirie, qui lui semblait un élément remarquable, ainsi que l’empereur. « On verra le moment venu » aimait-il se dire sans que jamais il n’ait le temps de se plonger dans ce fouillis indescriptible.

«  Ajaccio, le 7 avril 2007

Cher Monsieur,

J’ai l’immense plaisir de vous faire savoir que Monsieur Marc Antoine Jean Dominique Pierre Paul Ettori-Casanizzi,  né à Tenda di Borgu, Haute Corse, est décédé à l’âge de 53 ans, au lieu dit « A canedda », près de la commune de Tenda di Borgu, au croisement de la route de Tenda di Borgu et du chemin allant vers le lieu dit: « Casa di Donizzetti », derrière la chapelle Sta Lucia di Lamermora.

Son corps, criblé de balles, (il n’aurait pas souffert, ou si peu, d’après les dires d'Ange Pascualettini, chasseur qui passait par là, armé d'un fusil et d'un chien, et qui n’a pas jugé utile de donner ni son nom ni ses coordonnées, vu qu'il avait, paraît-il, fort à faire et qu'il n'aimait pas être dérangé dans sa sieste) tenait encore fermement dans sa main, repliée sous sa poitrine, une lettre qui vous était destinée et dont je vous joins une copie. C’est évidemment la teneur de cette lettre qui fait que je me réjouis de vous annoncer son décès, sans quoi, évidemment, j’aurais mêlé ma peine à la vôtre. Tout notaire que je sois, je n'en ai pas moins un coeur comme tout un chacun.

En attendant de vous rencontrer prochainement, je vous prie d’agréer, Monsieur, mes respectueuses salutations insulaires.

Maître Pietrosimoni

P.S.
Nous trouverez ci-joint, la lettre de votre ami. »

13 septembre 2007

01 - Réveil précipité

L'Odysée de Pierrot LEHOUFF

En ce samedi d’avril, Pierre, comme chaque matin, vers 7 heures, allait chercher son courrier, un peu dans le brouillard, la tête encore dans des pensées opaques qu’il fallait dissiper au plus tôt. La veille avait été un jour difficile à cause du travail et de plein d’autres choses encore.

Comme un robot, il déposait mécaniquement sur la table du salon la pile de papiers en tous genres qu’il avait l’intention de ne consulter qu’après un petit déjeuner qu’il avait pris l’habitude de prendre seul depuis des années.

Pourtant, son œil fut étonnamment attiré par le coin d’une enveloppe qui dépassait à peine de sous une revue. Il y en avait des enveloppes, des magazines, les prospectus, de la publicité. Il avait remarqué ce coin parmi tout ce fatras : facture de téléphone, carte postale d’un parent éloigné, les « Lettres Françaises », « Sciences et découvertes », le renouvellement de son abonnement pour le « Courrier International », enfin, la revue hebdomadaire en papier glacé « Hot-Girls for Hard-Men », magazine anglophone plein de photos, (car Pierre était un passionné de photographie), ce qui ne le gênait pas car il jonglait avec toute l’aisance nécessaire - à cause de ses fonctions professionnelles - pour la langue de J. K. Rowling.

Il sorti cette enveloppe en priorité. Le café attendra. L’instinct de l’animal traqué, dont l’éveil est permanent, réminiscence d’années antérieures difficiles mais exaltantes au cours desquelles ses nerfs avaient été particulièrement sollicités.

« L’en-tête » ne lui donna aucun élément de réponse quant à la question qu’il se posait déjà : à savoir qui pouvait être ce correspondant dont le cachet de la poste indiquait son origine : "Ajaccio, le 18/04/07".

Comme pris par une prémonition soudaine, il évacua toute autre pensée de son esprit qui se mit aussitôt à fonctionner à toute allure. Pierre avait toujours eu des situations délicates à négocier et, la plupart du temps, il avait été dans l’obligation, souvent vitale, de prendre une décision immédiate. Pour être sorti du sommeil, il en était sorti ! Et pourtant, rien ne pouvait lui laisser supposer que ce qu’il allait découvrir allait bouleverser sa vie. Sixième sens ? Il y avait toujours cru, et il s’était même imaginé qu’il lui servait de bonne étoile. N’avait-il pas, un jour, dans l’inconscience la plus totale, et au péril de sa vie et peut-être celle d’autres, traversé la place de la Concorde, un jeudi à 18 heures ! A la sortie des usines ! Et Dieu sait si elles sont nombreuses dans ce quartier. D’accord, il avait emprunté les passages pour piétons. D’accord il avait respecté les feux tricolores. D’accord, il n’était pas seul ; il l’avait traversée au milieu de cette horde de parisiens tous pressés qu’ils étaient de rentrer à leur domicile : il y avait un match du PSG le soir même sur Canal. Mais quand même ! Heureusement, il n’en avait jamais parlé à sa maman, qu’il chérissait par-dessus tout : elle se serait fait rétroactivement tant de soucis. Il se serait alors grandement fait fâcher, ce qui l’aurait particulièrement contrarié. Pierre n’aimait pas, mais pas du tout être contrarié, fusse par sa maman chérie.

Ce matin, il avait décidé d’accorder toute son attention à cette enveloppe, somme toute ordinaire. Mais son intuition lui commandait de l’ouvrir, toute affaire cessante. Ce qu’il fit, sans prendre le temps ni de prendre sa douche, ni son petit déjeuner, ni de lire le journal, ni de réveiller Madame, car Pierre était marié, mais ça, c’est une autre histoire !

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Periple en Corse
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