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Periple en Corse
17 septembre 2007

03 - Jeu de piste

Pierre ne s’était pas trompé. Son infaillible instinct l’avait alerté à propos de la teneur exceptionnelle de ce courrier surtout quand il déplia, avec une certaine angoisse, le fameux document joint. Une chose le frappa immédiatement : l’écriture difficilement lisible, faite de caractères désordonnés, tantôt penchés en avant, tantôt en arrière, parfois de taille différente. Une constante : les lignes étaient toutes inclinées vers la gauche. Un graphologue aurait conclu de la manière suivante : « une difficulté d'adaptation dans la société, de l’hypersensibilité, voire de l’agressivité, un tempérament qui ne parvient pas à s'imposer. Manque de confiance en soi, voire malhonnêteté ». Bigre !

Il y avait également du tremblement dans l’écriture. Elle ressemblait à celle d’un vieillard qui a perdu une bonne partie de la sûreté de ses gestes. Pourtant, « Il » n’avait que 53 ans. Pierre s’en voulu de ne pas avoir, dans la panoplie de tout son savoir, des notions de graphologie qui lui auraient sans doute permis de lui donner une image précise de cet homme, ses intentions, son âge, son sexe, la couleur de ses cheveux, son type de femmes, les circonstances de sa mort, bref tout ce qui pouvait être important pour cerner ce mystérieux personnage. Soudain, en se frappant la main restée libre contre son front, il réalisa qu’il avait presque tous ces renseignements:là, sous ses yeux ! « C’est vrai, je n’ai pas encore pris mon café. Oh, Pierrot, réveille toi ! ». Trop impatient d’en savoir davantage, il se mit en devoir de lire la seconde lettre. Il dû même s’y reprendre à deux fois, peut-être même à trois pour décrypter ce message aussi surprenant :

« Salut Pierrot,

Si tu lis cette lettre c’est que ça s’est pas bien passé pour moi. Je ne sais pas si tu te souviens de moi : Ange-Marie Petrucelli, dit « Trompe la mort ». Tu te rappelles ? Eh oui, voilà plus de trente ans que nous nous sommes perdus de vue. Je ne t’ai pas rappelé, toi non plus, c’est la vie. Un avantage ; cela a peut-être évité de se fâcher. En effet, je suis en très mauvais termes avec tout le monde. « Grave », comme me disait mon fils Paul que tu n’as pas connu et qui ne me parle plus depuis des années. « Infiniment regrettable » comme me le répétait cette garce de Marie-Françoise, mon ex-épouse.

Alors voilà, malgré mon âge qui pourrait me laisser espérer encore un bel avenir, je sens ma fin prochaine. Non, je ne suis pas malade. De ce côté (c’est bien le seul) tout va bien. Ce qui va moins bien, par contre, ce serait, comme qui dirait, sur le plan relationnel. Quand je te disais que je n’ai plus d’amis c’est que je n’ai plus d’amis. Ils se sont transformés en ennemis. Pourquoi ? Va savoir ! La politique peut-être, quelques copines, sans doute. Nous avions fait aussi des affaires ensemble. Je ne t’en dirai pas davantage, ce serait trop long à t’expliquer. Elles ont mal tourné. Toujours est-il que je me suis retrouvé à la tête, sans le vouloir vraiment, encore que, d’un immense pactole, des briques en pagaille. Les circonstances ont fait que je n’ai pas pu en faire profiter ceux avec qui j’avais récupéré cette manne, ceux qui étaient encore mes « amis » il y a peu. Ceci, malgré ma propension à partager jusqu'à une de mes nombreuses chemises. C'est dire! Dieu m'est témoin!

Jalousie de ma réussite sociale ? C’est vrai que j’avais quitté le « bar des supporters de l’ACA(1) » au profit du « Grand café du Cours ». C’est vrai que j’ai troqué ma Simca 1100 pour une Fiat Uno neuve avec alarme de recul. C’est vrai aussi que je me suis mis à porter des « Ray Ban » mais ça, ce n’est pas de la coquetterie, c’est à cause des reflets du soleil quand je fais mon quinté au café « Chez Francis ».

Bref, mes briques m’attirent des tas d’ennuis et me pèsent. Aussi, je me suis dit que, s’il m’arrivait des bricoles, je préfèrerais que ce soit toi qui puisse en profiter. Tu en seras averti par le notaire de l’ex mari de celle qui fut la compagne de mon voisin de palier et dont j’avais eu une aventure (en tout bien toute horreur comme elle aimait dire) avec la sœur de sa femme.

Or, malgré toute l’estime que j’ai pour toi, ce que je te lègue se mérite. Il va donc falloir aller le chercher car j’ai soigneusement planqué ce magot tant convoité. Te rappelles-tu mon caractère ? « Puisqu’ils le veulent, ils ne l’auront pas. Je ne me fais pas extorquer mon bien : je le donne ». Une seule condition cependant : Il faudra en prélever une part afin de consacrer le nécessaire pour me construire une chapelle, plus belle que celle de ces salopards de Tomasetti, qui m’ont tant fait de mal dans le passé, jaloux qu’ils étaient parce que j’avais réussi mon entrée du premier coup au lycée Fesch, dans le cimetière de Tenda di Borgu qui fait face à la mer. Tu planteras aussi et à côté, un de ces cyprès de Toscane que j’aime tant ! Tu en trouveras chez Jardiland à Mezzavia. Rassure toi, il en restera suffisamment pour te construire un château au moins aussi beau que celui des Pozzo di Borgo !

En deux mots, voilà comment t’y prendre pour récupérer le magot :

J’ai rédigé une lettre d’une page qui se trouve disséminée en quatre parties aux quatre coins de la Corse. Il te faudra en trouver trois, selon la formule du jeu de piste. En rassemblant ces trois morceaux tu auras l’ensemble du texte dans lequel j’évoque des souvenirs anodins de jeunesse. Il te faudra le décrypter et cela te permettra d’avoir l’adresse de la personne qui détient la quatrième partie de la lettre et, après juxtaposition, (j’ai trouvé ce mot dans le dictionnaire), elle te donnera l’indice manquant pour te conduire à l’endroit ou se trouve cette fortune. Evidemment, chaque personne que tu auras l’occasion de rencontrer ne sait rien de cette affaire et ne se connaissent pas entre elles. Mon trésor est bien caché.

Pour commencer ta quête, rends toi chez madame Benedetti à Ajaccio, (je ne me souviens plus de son véritable prénom car je l’appelais toujours Simone en souvenir de l’actrice qu’elle aimait beaucoup). Tout ce que je sais d’elle, c’est qu’elle habite pas loin de la maison natale de Napoléon, dans une petite rue, au 2ème étage. C’est pas difficile, elle étend toujours son linge sur un fil qui traverse la rue. Je crois même qu’il devait s’agir de vêtements. Ce détail devrait t’aider. Quand tu la verras, présente toi : dis lui que tu es un ancien ami à moi et ajoute dans la foulée, le mot de passe qui suit : « tes carottes sont cuites ? ». N’oublie pas l’accent d’interrogation. Cette formule est une allusion à la recette que je préférais quand nous allions lui rendre visite le jour de la St Jean Baptiste : « le sauté de veau aux olives ». Elle te donnera quelque chose pour poursuivre ta quête. Donne lui de mes nouvelles, elle sera contente.

Je vais te quitter en souhaitant, à l’heure où j’écris ces lignes, que tu n’auras pas à me lire. Sinon, je remets mon âme à Dieu.

Bon voyage, bon séjour chez nous. J’oubliais : les corses sont des gens formidables et accueillants. Il faut simplement savoir les respecter mais ça, c’est valable pour tout le monde.

Mes amitiés posthumes.

Ange Marie

P.S. Encore un oubli : Elle ajoutait des carottes aux olives. »

(1) ACA : Athletic Club d'Ajaccio, club de football évoluant en Ligue 2

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